Djibouti, objectif façade (partie 2) : Un espace saturé : l’exode rural et les tensions écologiques

Le trafic maritime est le signe le plus visible de l’augmentation des pressions sur la façade  djiboutienne. Pourtant, cette valorisation de la façade ne touche pas uniquement le secteur commercial. C’est un espace attractif sous plusieurs aspects. Pour les populations nomades, elle représente une solution à un secteur en crise. Pour les populations côtières – à l’image des ports – elle représente le support des activités économiques. Tous ces facteurs s’articulent comme autant de pressions sur un espace fragile.

1. Un exode vers la côte, signe de survie

L’exode rural n’est pas un fait nouveau à Djibouti. Dès les années 1960, de nombreux pasteurs afars ou somaliens migraient vers Djibouti-ville. Cependant, depuis une décennie, ce phénomène semble augmenter. Au début des années 2000, la population côtière représentait 60% de la population totale. En 2013, elle atteignait plus de 80%[1]. Depuis les dernières décennies, Djibouti connaît une importance migration de sa population de l’intérieur du pays vers la côte. Il s’agit d’une réponse aux fortes sécheresses récurrentes qui frappent le pays ces dernières années. La FAO a estimé que près de 50 à 70% des troupeaux présents dans le pays avaient disparu pendant ces années[2]. En parallèle, ces fortes sécheresses et les effets perçus du réchauffement climatique entrainent une désertification de l’hinterland. A. Laurent estimait en 2012 que les derniers pâturages supportaient quatre fois la charge normale de pâturage[3]. Les populations, majoritairement nomades, voient leurs sources d’approvisionnement en eau se réduire. Plus de 95% des ressources hydriques proviennent de nappes phréatiques qui s’épuisent. Soumis à ces aléas, les populations sont vulnérables à la pauvreté. 95% des familles rurales vivraient sous le seuil de pauvreté[4]. L’exode vers la côte devient alors synonyme de survie.

A. Lauret, février 2016.
Eleveurs de chèvres proche de la frontière djibouto-éthiopienne, A. Lauret, février 2016.

A Djibouti-ville, Tadjourah ou encore Obock, les populations urbaines augmentent. Ces nouvelles populations s’installent dans des quartiers précaires, le plus souvent en périphérie des villes. Elles tentent de s’insérer dans les économies locales. La façade maritime dispose de faibles zones de pâturage[5]. En bordure des villes, on peut parfois observer divers troupeaux. La plupart des éleveurs abandonnent leurs anciennes activités. Les emplois créés par les nouveaux ports peuvent être des portes d’intégration pour ces populations. Mais pour beaucoup, elles trouvent un moyen d’insertion dans des métiers liés à l’économie primaire comme la pêche (Tadjourah ou Obock) ou dans le secteur informel. Ce schéma de la pêche n’est pas sans rappeler celui des pêches migrantes en Afrique de l’Ouest. Au Sénégal, les populations de l’intérieur ont migré sur les côtes[6]. Face à des avaries climatiques sur les activités pastorales, la migration vers la côte est une réponse courante. Ces populations ont trouvé dans la pêche une activité demandant une faible qualification : « savoir se servir de ses deux bras afin de haler au plus vite un filet »[6].

2. Un espace propice aux activités économiques

L’intérieur du pays se vidant, la côte devient le support de l’activité économique de l’ensemble du pays. Elle reflète les ambitions de la politique du gouvernement : construction des ports, création d’aires maritimes protégées, essor d’un tourisme « durable » à visées internationales. La façade cumule les meilleures infrastructures comme la nouvelle route ou le ferry, don de la coopération japonaise ; tous deux reliant la Rive Sud à la Rive Nord. Les villes côtières concentrent les projets et dons internationaux. L’EximBank of China a financé un stade et une école à Obock. Quant au Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), il a choisi Obock comme espace accueillant des camps de réfugiés yéménites fuyant la guerre[7].

Les milieux ruraux de la façade ne sont pas oubliés. Les ressources présentes sont exploitées : le sel du Lac Assal, la géothermie ou encore les tentatives de développement de l’aquaculture par des investisseurs privés au Nord d’Obock ou au Sud de Djibouti-ville sont autant d’exemple de pressions sur le territoire. A l’échelle locale, la façade est un espace d’opportunités économiques et commerciales pour la population : pêche (légale et illégale), hôtellerie et métiers liés au tourisme, commerces de tout types avec l’Éthiopie ou le Yémen, etc. Le cumul de toutes ces activités en fait un espace saturé.

3. Une façade surexploitée

La construction des nouveaux ports va de pair avec l’augmentation du trafic maritime. Avec l’ouverture des deux premiers ports prévus en 2016 et 2017, le nombre de porte-conteneurs et autres navires de commerce vont augmenter dans le Golfe de Tadjourah. Certaines conséquences sont à prévoir. Si l’environnement maritime djiboutien est riche, il demeure fragile. Selon diverses études, près de 95% des récifs coralliens seraient menacés à Djibouti[8]. Avec l’augmentation du trafic, l’environnement risque d’être soumis à de fortes pressions.

Une façade surexploitée

D’un point de vue de la pollution, la façade concentre les espaces les plus pollués et fragiles. Les eaux rejetées par les villes ou par les navires (vidanges) dégradent l’environnement marin. Les déchets humains s’accumulent autour des villes côtières. Les dégradations environnementales liées à l’activité humaine rejoignent celles du réchauffement climatique. La FAO a estimé que près de 33% des Djiboutiens vivent dans des zones côtières à hauts risques climatiques. Certains écosystèmes subissent déjà des dégradations. Les mangroves de Khor-Angar ou la forêt du Day sont en voie de disparition. Cette forêt, primaire, est passée de 1 500 hectares en 1984 à moins de 900 hectares dans les années 2000[9]. La disparition de cette forêt est une conséquence d’un climat de plus en plus aride et d’une surexploitation par l’homme de ce milieu : activités pastorales, fabrication de charbon de bois, etc.

Ce sont les populations en lien avec ces environnements qui seront directement atteintes. Les villes de Tadjourah, d’Obock ou encore de Loyada (rive Sud) accueillent des communautés de pêcheurs. Il s’agit de groupes économiquement précaires. La guerre civile yéménite a entrainé l’augmentation du prix de l’essence, élément primordial pour alimenter les activités de pêche. Cette croissance du prix a entrainé une réduction de la zone de pêche. Il y a quelques décennies, les pêcheurs de Tadjourah allaient pêcher jusqu’aux portes du Ghoubbet. Aujourd’hui, le prix de l’essence les contraint à pêcher aux alentours de la ville de Tadjourah. Leurs zones de pêche se superposent avec celle du trafic portuaire. Or sur ce même espace restreint, la coexistence de ces deux activités est difficile à entrevoir. Les conflits liés à l’accessibilité de l’espace risquent d’apparaitre.

La concentration des activités sur un espace aussi restreint entraine une course à l’accaparement de certaines terres. Au Nord d’Obock, le lancement d’une ferme aquacole a provoqué de vives protestations de la part de la population obockoise. L’entreprise Djibouti Aqua-Mater s’est vue octroyer plus de 300 hectares de terre par le gouvernement[10]. Une partie de l’espace délimité abritait depuis quelques années un centre touristique. Le chevauchement des activités économiques et l’implication du pouvoir central a provoqué de vives tensions juste avant les élections d’avril 2016.

Espace refuge, support aux activités économiques, espace fragile, la façade maritime cumule différents imaginaires et fonctions. C’est un espace en pleine mutation qui accueille les populations cherchant de meilleures conditions de vie. Pourtant, migrer vers la façade et s’installer en ville n’est pas synonyme de réussite socio-économique. A Djibouti-ville, près de 70% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté pendant la décennie 2000[11]. La façade se révèle être un espace fragile. Elle subit à la fois des conditions climatiques dégradantes et des activités humaines multiples qui tend à s’accroitre. Afin de la protéger, le gouvernement a mis en place sur certaines portions du territoire des aires maritimes protégées. Au nombre de quatre, ces aires maritimes datent de 2011. Il n’est pas encore possible d’évaluer les effets positifs ou négatifs de ces aires.


[1] Chiré Amina Saïd. Le Nomade et la ville à Djibouti : stratégie d’insertion urbaine et production du territoire. Karthala. Hommes et Sociétés. 2012.

[2] FAO.Rapport de conception finale : Programme d’appui à la réduction de la vulnérabilité dans les zones de pêches côtières (PRAREVIpêche). 2013. 198 pages. [Ressource électronique].

[3] Laurent A. La biodiversité à Djibouti : une richesse à peine connue déjà très menacée d’emblée au cœur de l’approche territoriale du développement [in] Chiré Amina Saïd. Djibouti contemporain (Karthala). Paris, 2013. 354 pages

[4] Ibid.

[5] BEN YAHMED Danielle, Atlas de Djibouti, les éditions du Jaguar, Paris, 2007. 63 pages.

[6] FAILLER Pierre, BINET Thomas. « Sénégal. Les pêcheurs migrants : réfugiés climatiques et écologiques ». Hommes et migrations. 1284. 2010. Page 98 – 111.

[7] A l’inverse, des camps de « longue date » accueillant des réfugiés éthiopiens et somaliens se trouvent proches des frontières.

[8] On pourra citer les études suivantes de la Banque Mondiale : La vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique à Djibouti et le Rapport sur l’adaptation au changement climatique dans les Pays Arabes.

[9] Kenedid Ibrahim, Djibouti sur le point de perdre son unique forêt. Sci Dev net. 3 mars 2016. https://landportal.info/fr/news/2016/03/djibouti-sur-le-point-de-perdre-son-unique-forêt

[10] Djibouti : Vives tensions à Obock sur des accaparements de terres par le régime. Farmlandgrab.org. Mars 2016. http://www.farmlandgrab.org/post/view/25839-djibouti-vives-tensions-a-obock-sur-des-accaparements-de-terres-par-le-regime

[11] Nour Ahey Moustapha, Les villes de Djibouti : entre explosion démographique, paupérisation et violence. [in] Chiré Amina Saïd. Djibouti contemporain (Karthala). Paris, 2013.