Djibouti, État-pivot dans la lutte contre la piraterie maritime

Cet article a paru dans la 9e édition du périodique Jambo, édité par le Comité Afrique de l’ANAJ-IHEDN. Les contributions des autres rédacteurs sont disponibles sur le site de l’association.

Dans la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes, la République de Djibouti est essentielle aux efforts entrepris par les puissances occidentales et japonais. Verrou du détroit de Bab-el-Mandeb, par lequel transitent 12 % du trafic maritime mondial et 30 % du pétrole brut, ce « dragon africain »i est devenu incontournable, tant par les infrastructures qu’il rend accessible aux forces maritimes étrangères, que par ses propres capacités militaires et diplomatiques.

Un port d’attache difficilement remplaçable

L’Europe semble n’avoir pris la mesure du risque d’accroissement de la piraterie dans le Golfe d’Aden qu’après la prise d’otage contre le yacht Le Ponant en avril 2008. Cet événement largement médiatisé a précédé de peu le lancement de l’Opération Atalante, premier engagement de la Force navale européenne (EUNAVFOR), en décembre de la même année. Outre la France, qui dispose depuis 1977 d’un accès permanent au quai n°9 du Port autonome international de Djibouti, l’Espagne, l’Allemagne et plus récemment l’Italie ont obtenu grâce à Atalante une escale nécessaire au ravitaillement de leurs bâtimentsii.

Les nations européennes ne sont toutefois pas les seules à lutter contre la piraterie depuis les installations djiboutiennes : le Japon s’est ainsi engagé dans cette bataille dès avril 2009, suite à l’attaque du Tayakamaiii, mettant à la disposition des forces coalisées deux destroyers de sa Force maritime d’autodéfense. Tokyo a finalement ouvert à Djibouti en 2011 sa première base militaire à l’étranger depuis 1945iv. Au total, ce sont près de trois cents navires de guerre étrangers qui utilisent régulièrement les infrastructures locales (quais d’amarrage, oléoducs de ravitaillement, emprises terrestres pour accueillir les marins) afin de renforcer la sécurité maritime dans la zone.

Un renforcement capacitaire bienvenu

Par ses propres capacités matérielles et humaines, Djibouti contribue par ailleurs directement à la lutte contre la piraterie. Cet engagement, que les puissances occidentales cherchent à renforcer par des projets de coopération, sert d’abord l’ambition affichée de Djibouti de devenir un hub commercial d’envergure internationale.

Afin que la marine djiboutienne parvienne à surveiller efficacement le golfe de Tadjourah et le détroit de Bab-el-Mandeb, plusieurs action ponctuelles ont ainsi été menées aux côtés du gouvernement du président Ismaïl Omar Guelleh. Depuis 2003, la France a notamment contribué à la construction des sémaphores de Ras Bir, Maskali et Moulouhév, avant de céder en 2012 à la marine djiboutienne La Dague, un engin de débarquement d’infanterie et de chars mis à l’eau en 1987vi. Il est désormais utilisé comme navire de transport et bateau-mère ravitailleur pour les sept vedettes et les deux patrouilleurs nationauxvii. Au travers de la mission EUCAP Nestor, lancée en 2012 par l’Union européenne, en coopération avec le Japon, mais aussi bilatéralement, Paris contribue en outre à la formation des marins et des garde-côtes djiboutiens, en France ainsi qu’au sein du Centre de formation maritime de Doralehviii.

Ces renforcements capacitaires se doublent depuis 2011 d’un engagement militaire djiboutien dans l’AMISOM, afin de contribuer à la stabilisation de son voisin somalien. Mais ils sont surtout complétés par d’ambitieux efforts diplomatiques. C’est ainsi que le 29 janvier 2009 est signé par l’Éthiopie, le Kenya, Madagascar, les Maldives, les Seychelles, la Somalie, le Yémen et la Tanzanie le Code de conduite de Djibouti, qui prévoit la mise en réseau de trois centres de formation et de coordination contre la piraterieix. Ce document a finalement conduit à la tenue de plusieurs rencontres entre les pays riverains de la mer Rouge, et précédé l’adoption en octobre 2010 d’une stratégie conjointe avec l’Union européenne, réaffirmant le rôle de Djibouti comme pivot régional de la lutte anti-piraterie.


i Gascon A., « Djibouti : Singapour sur mer Rouge, un confetti futur dragon africain », Outre-Terre, n°11, 2005

ii Entretien avec Jacques Biau, premier conseiller de l’Ambassade de France à Djibouti, mars 2013

iii L’attaque du super-tanker Takayama en 2008 suit de près celle du MV Golden Nori en octobre 2007. Source : http://blog.mondediplo.net/2011-01-20-A-Djibouti-la-premiere-base-du-Japon-a-l-etranger [consulté le 27 mai 2015]

iv Leymarie P., « Première base du Japon à l’étranger », Manière de voir, n°126, décembre 2012, p. 52

v Bethencourt-Dumora C., « Djibouti, la voie de l’émergence ? », Revue Défense Nationale, n°750, mai 2012, p. 115-120

vi Bays N., Avis fait au nom de la Commission de la défense nationale et des forces armées sur le projet de loi (n°425) autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, Assemblée nationale, 16 avril 2013

vii La Dague est désormais le navire de guerre djiboutien le plus important en tonnage et en autonomie.

viii Entretien avec le colonel Éric de Vathaire, attaché de Défense auprès de l’Ambassade de France à Djibouti, mars 2013

ix Bethencourt-Dumora C., op. cit.